
I
Cérémonie
Devant l’ancien autel, seigneur, mon prince
Dans le brouillard du soir on est montés,
Raisons niaises s’abiment dans la vallée,
Les âmes avouent la touche de transparence.
Pour les sacrées statues il faut rien dire :
Nous deux suffîmes. En manque de chandelier,
La paix s’enflamme de nous, pour consommer
Les pièges et les faux pas, dans un sourire.
La peine de se voir nus face au destin
Son œil impitoyable ferme dessous ;
Pour le baptême de l’éternel début
Laisse ton grabat, lève-toi, y’a le festin
Mon coeur ! J’te prête au nouveau roi, a vie
Couronne à susciter aux anges la jalousie.
Couronne à susciter aux anges la jalousie,
Mon coeur ! J’te prête au nouveau roi, a vie !
Laisse ton grabat, lève-toi, y’a le festin :
Pour le baptême de l’éternel début
Son œil impitoyable ferme dessous
La peine de se voir nus face au destin.
Les pièges et les faux pas, dans un sourire,
Ta paix s’enflamme de nous, pour consommer ;
Nous deux suffîmes. En manque de chandelier
Pour les sacrées statues il faut rien dire
Les âmes avouent la touche de transparence,
Raisons niaises s’abiment dans la vallée,
Dans le brouillard du soir on est montés
Devant nouvel autel, seigneur, mon prince
II
Piège
Coucou cruel, pendant jeunesse avide,
Des œufs méchants le monde j’ai parsemé ;
Par mes bâtards j’ai fait défenestrer
Amour honnête avec amour perfide.
Je prétendais d’offrir la terre, les cieux,
Pour les planter, poussins illégitimes
D’une âme errante, sortie du sombre abime,
N’obéissant qu’aux vils caprices des yeux.
Et je t’ai vu. De flèche empoisonnée
Je tombe ; crevasse d’amour non partagé,
Logement dans l’éternel d’esprit démis,
L’enfer fait nid, o, Dieu, juste punition !
Coucou, ta grâce me lève au paradis,
Car tes blessures renversent gravitation…
III
Aillerons noirs
J’avais pensé qu’on manque les bonnes prières,
Seigneur, mon prince, pour te faire pardonner
A ton soldat, autant de lâcheté,
Autant d’amères défaites pendant cette guerre !
Et tu me dis : seule chose que tu refuses
C’est de me croire : y’a pas des vaincus en moi ;
Mon cœur guérit des trahisons chaque fois,
Sans demander à ta faiblesse excuses.
Le verbe dans ton abime commute blessures
Inaccessibles aux iniquités !
D’heureux silence, sur-lumineuse morsure
Resplendissant d’amour ressuscité,
Volées des merles, avec divine mesure,
Attendent les becs dorés pour te chanter.
IV
Patience
Sabliers des ères trouvent leur arrêt par terre
La sécheresse meurtrit le moindre nuage
Mon prince, tu m’abandonnes à ma misère ?
Je perds le compte des jours, des mois, d’années
Pour quoi j’erre seul dans ton silence sauvage ?
Mon pauvre âme craint le venin séché…
Mais non… moi, l’impatient, j’te dis : attends… !
Quel souffle étrange de ma poitrine tu rends ?
Aveugle que j’étais, en pleine lumière,
Ta touche me fait tomber les fausses paupières !
Rayon sans âge me trouve pour regarder
Dans roche impitoyable, le mystère :
L’esprit surgit ciseaux de mes poussières,
Pour voix céleste les moules à raffiner…
V
Obéissance
Tu m’écrives, seigneur aimé, sur sable,
Comme pour me dire : il faut avoir la foi
Contre tous les vents, inexorables
Marquer, en majesté divine, ma loi !
Et, même craignant que je sois inutile,
Te faisant confiance, en manque d’astuces,
J’y vais remplir déserts de touches débiles :
Que je puisse mériter une parole douce… !
Etant en train de maudire ma faiblesse
J’entends ta voix : écoute, mon cher ami,
Ta touche ne manque la force, mais la finesse
Je me réveille, ravi par l’harmonie;
Je touche un grain, un seul, en gentillesse ;
L’écho des anges tournoie une galaxie !…
VI
Piété
Comment oser de t’appeler, seigneur ?
Quand je n’ai même pas une fois touché ta croix ?
Quand je me vois fléchi par faible cœur,
Ma pauvre bouche n’ose plus lever louange
Et faire perfide reproche de la même voix
Pour ma retraite devant les bêtes en rage…
Pétri de honte, ne sachant pas quoi dire,
Je sens ta touche bénie. Dans un instant
Battu, percé, tu réduis au néant
Mes plaies avec les tiennes. Ton beau sourire
Me lève en-dessus de l’horizon sanglant
Comme t’es blessé ! Repose-toi dans mes bras
Qu’ils viennent nous vaincre des milliers des fois !
Sang sanctifie le sang. T’es triomphant.
VII
Prudence
Pourquoi tes armes manquent tellement l’élégance
Pourquoi y’a pas de décor sur ton bouclier ?
Tu me demandes, le jour de ta vengeance,
Seigneur, quand la victoire est à portée.
Mais, prince, ils sont des vils des pires espèces !
Leur âme, quand même, elle est à moi, tu dis ;
T’as pas encore rompu leurs rangs en pièces
Mais tu sens bien l’odeur du paradis ?
Dans toi, l’essence est déjà consacrée;
Tu brules pour victorieux et pour vaincus
Encens que terre et cieux n’ont pas connu
Ta gloire ne vit jamais dans les vains cœurs,
Les âmes pétries par convoitise restent nues,
Avant la guerre nous sommes déjà vainqueurs !
VIII
Sacrifice
Masse noire, avancent les lignes de l’ennemi,
Le jour se couvre des nuages sombres…
Nous sommes très peu et pas encore guéris
Faut qu’on se bat ou se sauver dans l’ombre…?
Ils ont été fiers de nous annoncer :
Nos bêtes vont vous manger les sales viandes !…
Sortez, et à l’attaque, braves camarades,
De sang on va leur insolence tremper !
Mais d’où surgit ce tourbillon sauvage ?
Pourquoi leurs rangs se déchirent en déroute ?
Toute leur grandeur s’effondre dans l’orage !
Comment dévorent leurs maitres, les lions !
Du gout de notre sang, versé sans doute,
T’as mis leurs bêtes affreuses en rébellion… !
IX
Innocence
Prince bien-aimé, comblé par tes faveurs,
J’ose demander ton amitié sereine :
Comment est-ce que je puisse te faire honneur
Quand de ta grâce l’humanité est pleine
Tu vois, je suis à l’aise dans cieux et terre,
Défi aux vils esprits qui nous persiflent,
A l’aise dans la victoire ou chute amère
Y’a rien qui manque pour mon amitié,
Sauf que je voudrais de toi une gifle,
Donnée du fond de l’âme, en fierté !
Je suis percé d’un coup par la colère ;
Pensant que tu te moques de moi, j’te frappe !
Touchant ton doux visage de ma misère,
Le don d’écrire pour toi ma main attrape…
X
Foi
Roi magnifique, mais vieilli sur ton trône
Et sans enfant, tu convoques tes sujets
Ecoutez ce que votre roi ordonne :
Prenez parcelles autour de mon palais
Celui qui la meilleure récolte me donne
Sera mon légitime prince héritier !
Au but d’un an, tous ont fait des miracles
La terre d’un seul jeune homme n’a rien donné…
Tu cours parmi splendides fleurs et fruits murs
Et tu lui passes ton sceptre pour le sacre:
Mon fils, reçois l’honneur bien mérité !
Il n’a rien fait, les conseillers murmurent…
Tu les réprimes: menteurs, craignez ma rage !
Toutes les semences étaient cuites d’avantage !
XI
Pureté
Un pauvre camarade va au tombeau
Hélas, à ses faiblesses il tombe victime
Je crois entendre dans le sombre abime
Les soupirs de son âme faisant écho…
Une larme qui tombe depuis céleste minuit
Rencontre une, montée de ses misères,
Comme si étrange gravitation nous suit
Eclat d’un soleil noir pour toutes les sphères
Et tu nous dis : l’empreinte de ma face
Par mon amour, je viens vous emprunter.
Ni même un seul atome ne manque ma grâce !
J’arrose déjà, du droit de majesté,
Dans décadence et débris dégueulasses,
Les roses qui vont sur son tombeau pousser…
XII
Espoir
Quand tout ce que j’ai pu faire confronte la fin,
Quand le corps doit subir sa décadence,
Pensée, sens, volonté touchent leur destin.
C’est toujours sombre. C’est l’enfer, mon prince ?
Alors, je vois l’énorme calice, rempli
Au ras, de nos faiblesses et nos misères :
Grain minuscule, perdu dans l’infini
De ton amour au-delà du temps et sphères…
Je me rappelle alors, d’une touche suave :
Ce que se perd pour toi n’est pas perdu,
Pousser vers toi défie toutes les entraves,
Y’a pas des fleurs qui poussent dehors la boue…
L’obscur qui nous attache comme des esclaves
Déborde en toi quand je me jette par-dessus.
XIII
Danse des anges
Dans l’oiseau qui gratte le ciel y’a un mot,
Clé de voute elle fait voler de mon amour,
Elle égare dans les hauteurs mon seul secours,
Mon cœur brule des flammes parjures, comme un sot.
Un poisson mange une huitre dans la mer;
Il avale une perle cachée, le poisson;
Elle est renfermée dedans, ma raison;
Mes pensées se perdent, au fond de l’amer.
Danse des grâces par vertus m’a couronné:
A quoi bon ? Mon âme ne peut s’y servir !
Flammes cruelles me disent : le cœur peut voler,
La raison refuse dans le noir mourir…
Seul espoir – qu’un ange peut récupérer
L’amour du zénith, raison – du nadir.
XIV
Danse des épées
Ils draguent vers sa fin un nouveau martyre…
Comment il regarde d’un œil courageux
La foule déchainée qui, dans son délire,
Va ovationner le coup du bourreau… !
Quand j’étais en train de laisser la rage
Envahir mon âme pour ma lâcheté
Le fer de son sang renouvelle l’épée
Dans le ciel très saint, aux mains de l’archange… !
Que je puisse saigner, du cœur plein des vices
Sur ton cœur blessé, comme si l’échafaud
Prend sur lui le coup d’un secret supplice :
Etre à ton amour le caché héros,
Vie aux cieux surgir au bois de justice,
Renverser tranchant contre les juges faux … !
XV
Essences
Roche renfermée dans une roche dans le noir,
Qui, au lieu de pouvoir garder silence,
Vient de rêver, cauchemar après cauchemar,
L’immobilité munie d’une conscience…
Pas de parole dans le noir, ni pensée.
Y’a seulement une espèce d’œil en souffrance :
Pour lui le noir est la seule liberté,
Le point nu c’est la seule abondance.
Et, soudain, tout vient d’être renversé :
Grain de lumière noyé dans la lumière
Perle noire qui ciel de nuit a séquestré
Pour se réveiller, dans le sommeil s’endort.
Je gagne le soleil, je perds la poussière
Avant que je meurs, t’étais noyé dans ma mort.
XVI
Indomptable
J’avais pensé d’avoir perdu l’amour :
Entre quatre chariots à quatre roues
Ecartelé, a quatre vents accourt
Le désespoir d’un animal garou…
Mais là il vient de faire pousser une rose ;
Ailleurs, il change une note dans chant de merle ;
Dans l’océan, il ensemence des perles
Par la poussière qui leur sera la cause !
Epée disséminée dans l’intranchable
De sa faiblesse elle semble profiter ;
Surgie d’une faible flamme instable
La terre, les cieux se laissent par elle coupés…
Quand tu viendras, dans hauteurs inguéables,
Elle, humble, t’aura creusé le palais.
XVII
Homme
Devant chaque goutte d’eau y’a océan, nuage,
Sang, larme, sueur, feuille, branche, arbre, baptême…
Devant chaque flamme y’a retraite ou péage,
Pour fuite – les cendres, pour martyre – diadème…
Devant chaque grain y’a soupire ou écho,
Derrière chaque pas y’a porte ou serrure…
Concert d’essences, assemblées dans un mot,
Pour lequel y’a aucune salle qui perdure,
Pour lequel y’a pas de flamme suffisante,
Pour lequel y’a pas de prière sans parjure…
Hormis le cœur ! Car dedans, séduisante,
Une semence de repos résiste, acerbe,
Avide d’écriture – une oreille tout-puissante
En sursaut du commencement par le verbe.
XVIII
Sacre
Comme si une roche contient déjà la cave,
Avant qu’elle puisse par l’eau se faire creuser,
Ou un ermite va trouver ses entraves
Pour que la prière puisse le consommer…
Comme si des feuilles descendent dans l’océan,
Sans perdre leur verdure dans millénaires,
Pour joindre arbres d’une ile qui ascend
Et bruisseront printemps après des ères,
Foi en verdure noircit le rouge du sang;
Lumière, avant lumière courant plus vite
Pour héberger parole non-prononcée
Vient de remplir, autant que t’es absent
D’empreintes de vie l’abime de l’interdit:
Hymnes et lauriers qui vont te couronner.
XIX
Contemplation
Etre dehors : pour courte joie éphémère,
Obscur exposé aux nuages des yeux,
Par volée des oiseaux je suis mis en bière,
Par clins d’œil froids – transporté au tombeau.
Etre dedans : pour une très courte tristesse
Regard après regard, crevasse mobile
Creuse au cœur le mur d’un vide inhabile,
Grange d’hiver, accueil d’animale faiblesse.
Y’a une clé de voute pour cette fluide piège,
D’un mort par regards – la joyeuse couronne
Qui puisse décorer le fatal cortège… ?
Mosaïque des yeux pour vêpres claironne
Hymne d’heureux silence, pour lever du siège :
Tout ce monde attend que je sois ton trône.
XX
Paix
Regarde les deux gladiateurs en scène… !
Amis hors cirque, de bon ou de mal gré,
Pour le combat ils se sont entrainés
Et ils s’affrontent devant la foule malsaine…
Chaque fois, ils se pardonnent pour ce qu’ils ont fait ;
Lauriers et gloire ils traitent comme des ordures,
Comme si, déjà souffrant d’une grave blessure,
Y’a rien qui puisse leur enlever la paix.
La foule sauvage vient donc de se calmer
Et l’éditeur décide pour une remise…
Je peux comprendre pourquoi, sans pitié,
Et pire encore, d’une excellente maitrise
J’ai dû autant des vils coups t’infliger
Et j’ai reçu autant, de main exquise…
XXI
Le sans endroit
Sans cœur pour l’accueillir, sang en excès
En sus de ce que blessures ont pu extraire
Offrande de vie aux furtives vérités
Offrande de vie aux pales chimères…
Comme s’il lui manque le bon regard, qui sache
Ou est-ce qu’il faut la prochaine goutte semer,
Aveugle, aux regards d’amour s’attache,
Sang sans oiseaux sur vent sans air levé…
Que je puisse donc ouvrir au cœur souffrant
Les yeux qui pour le monde doivent se fermer
Même si au cout d’y être poignardé
D’amour meurtri, plongeon dans le néant…
Rétine ressuscitée, paupière amère :
Mort non corrigée, regarde ta misère… !
Dr. Alexandru – Theodor Amarfei
At corpus non terminatur cogitatione nec cogitatio corpore – (Spinoza, „Etica”)